Le droit français encadre le statut de salarié porté depuis la promulgation de l’ordonnance du 2 avril 2015. Ce résultat est celui d’un long parcours, jalonné de discussions, d’accords, de décrets de loi et de jurisprudences suspensives.
Désormais inscrit dans le Code du Travail, le portage salarial existe pourtant depuis les années 1980. La décennie marque l’émergence des Professionnels de l’Emploi en Portage Salarial (PEPS). Ce mouvement débute avec la création d’une association de cadres au chômage, qui aspirent à délivrer des prestations aux entreprises, en gardant leur statut de salariés.
L’occasion ici de retracer le chemin juridique emprunté pour parvenir au consensus actuel et aux dispositions qui encadrent le portage salarial. Quels sont les textes de loi en vigueur et la convention collective en cours ? Quels sont les points de friction juridique qui perdurent ? Voici les principales dates à retenir.
2008 : le portage salarial dans la loi sur la modernisation du travail
Les travailleurs indépendants évoluant sous le régime du portage salarial doivent attendre la loi sur la modernisation du travail pour voir leur statut officiellement reconnu. L’adoption de la loi n° 2008-596 par le Sénat et l’Assemblée nationale arrive le 25 juin 2008. Il modifie le droit du travail et comble l’absence de disposition sur les contrats.
La définition juridique du portage salarial est rappelée par le nouvel article L1251-64 :
« Le portage salarial est un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l’entreprise de portage. Il garantit les droits de la personne portée sur son apport de clientèle.«
2010 : l’accord interprofessionnel relatif au portage salarial
Le texte de la loi sur la modernisation du travail prévoit la ratification d’un accord national interprofessionnel dans une période de deux ans.
« III. – Par exception aux dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 2261-19 du Code du travail et pour une durée limitée à deux ans à compter de la publication de la présente loi, un accord national interprofessionnel étendu peut confier à une branche dont l’activité est considérée comme la plus proche du portage salarial la mission d’organiser, par accord de branche étendu, le portage salarial.«
La réunion de travail débouche sur un accord de branche, conclu le 24 juin 2010. Ce changement dans le droit résulte d’une décision commune des diverses organisations syndicales patronales (PRISME pour Professionnels de l’intérim, services et métiers de l’emploi) et représentatives des salariés (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT).
Les articles de la loi finalisent un cadre juridique pour les salariés portés. Le droit reconnaît ainsi une nouvelle forme de contrat de travail pourtant effectif depuis une trentaine d’années. L’accord oblige les employeurs et sociétés de portage salarial, les salariés portés et les entreprises à se conformer à certaines règles.
Une sécurisation du contrat des travailleurs se met en place avec l’instauration dans la loi et le droit :
- d’une garantie financière obligatoire en faveur des salariés portés;
- d’un seuil de rémunération minimum pour les travailleurs (cadres et non-cadres) le sollicitant.
2013 : un cadre juridique qui s’étend et se renforce
L’accord temporaire de 2010 scelle le socle de l’organisation des indépendants travaillant sous le statut du portage salarial. S’ensuivent trois années de discussions entre les syndicats d’employeurs et de salariés, pour mieux encadrer la profession par le droit. L’objet des échanges débouche sur un arrêté ministériel, pris le 24 mai 2013, qui étend l’accord de loi conclu précédemment.
Par ailleurs, l’Unedic, qui s’occupe de l’assurance chômage en France, produit la circulaire n° 2013-5. Le texte énumère les conditions qui permettent aux salariés portés de percevoir une indemnisation chômage. Voici deux des principales décisions :
- la société de portage ne doit exercer que cette activité. L’employeur a la charge de contrôler l’activité du salarié porté, d’assurer son suivi médical, ou encore d’accompagner la bonne conformité du compte rendu d’activité;
- le salarié porté doit posséder le statut de cadre. Sa rémunération minimum doit atteindre 2900 euros bruts par mois (sur la base de contrats de travail à temps plein).
2014 : la convention collective frappée d’inconstitutionnalité
Le Conseil constitutionnel intervient, le 11 avril 2014, considérant certaines dispositions contraires aux règles constitutionnelles. Le juge reproche :
- la délégation à la convention collective des règles de contrats de travail qui relèvent de la loi (paragraphe III de l’article 8 de la loi sur la modernisation du travail);
- la méconnaissance du législateur de sa compétence pour évaluer les conditions d’exercice du portage salarial, et la fixation des principes applicables au salarié porté qui ont des effets négatifs sur la liberté d’entreprendre et les droits collectifs des travailleurs.
Pour laisser le temps au législateur d’assimiler ces éléments d’inconstitutionnalité sur les contrats de travail, le Conseil constitutionnel reporte l’abrogation du paragraphe III au 1er janvier 2015. Aucune contestation ne peut aboutir en invoquant cette inconstitutionnalité, le législateur étant à l’oeuvre pour définir une loi sur le portage salarial.
2015 : l’ordonnance qui définit le portage salarial
Le nouvel encadrement social et juridique, du portage salarial comme de la relation entre l’employeur et le salarié, est établi avec la signature de l’ordonnance gouvernementale n° 2015-380. La date du 2 avril 2015 met fin au flou régnant dans le Code du travail, autour d’un statut hybride combinant salariat traditionnel et travail indépendant.
Désormais, tout professionnel peut se définir comme salarié porté s’il peut justifier « d’une expertise, d’une qualification et d’une autonomie qui lui permet de rechercher lui-même ses clients« . Alors qu’auparavant le statut était exclusivement réservé aux cadres, l’ordonnance du 2 avril 2015 modifie cette règle. Tous les travailleurs peuvent bénéficier de cette opportunité de contrat de travail.
Plusieurs mesures d’importance entrent alors en vigueur :
- les conditions de seuil de revenus sont révisées à la baisse : 75 % du plafond de la Sécurité sociale (PMSS);
- l’assouplissement du recours au contrat de travail à durée déterminée (CDD) qui, comme le contrat de travail à durée indéterminée (CDI), ouvre des droits aux allocations chômage;
- l’obligation de déclarer son activité à l’administration pour les sociétés de portage salarial, une activité exclusive pour ce type d’entreprise qui inclut la formation et l’assistance aux salariés portés.
Le décret d’application du 30 décembre 2015 précise les modalités déclaratives vis-à -vis de l’inspection du travail. Surtout, le texte fixe à 8 % de leur masse salariale la part de la garantie financière obligatoire des entreprises de portage salarial.
2017 : signature de la convention collective du portage salarial
Le mois de décembre 2016 est le théâtre de la création officielle d’une branche professionnelle. Elle résulte de la consultation des partenaires sociaux, du gouvernement et des professionnels du portage salarial (employeurs et salariés). Cette branche d’entreprises travaille alors à la rédaction d’une convention collective.
Le travail conclu en mars 2017 permet à la convention d’entrer en vigueur dans le droit le 1er juillet de la même année. La signature profite de l’environnement juridique porteur de la loi travail, dite aussi loi El Khomri. De nouveaux critères s’imposent comme :
- le seuil de revenus minimums qui passent de 75 % à 70 % du PMSS, soit 2400 euros bruts pour une activité en 2021;
- l’éligibilité au statut qui englobe désormais les titulaires d’un Bac+2 et les professionnels justifiant trois années d’expérience;
- la mise en place de trois types de salariés portés qui encadrent les salaires : salariés juniors, salariés séniors, salariés au forfait jour;
- l’instauration d’un fonds de mutualisation qui sécurise les parcours et d’une garantie financière à hauteur de 10 % du salaire.
Cas de jurisprudences sur le portage salarial
La loi évolue au rythme des cas de jurisprudence et le portage salarial n’y échappe pas. On peut citer l’intervention de la Cour de cassation le 17 février 2010. L’instance rappelle alors à l’employeur que le contrat de travail, signé avec le salarié porté, l’oblige à lui donner du travail.
Cette jurisprudence s’oppose à deux principes fondamentaux du portage salarial :
- la liberté des salariés et consultants portés à choisir eux-mêmes leurs clients;
- la charge des salariés et consultants portés à endosser la responsabilité à l’endroit de leurs clients avec qui ils exercent leur profession.
La Cour de cassation oeuvre même à étendre sa jurisprudence, avec l’interdiction de licenciement d’un salarié porté qui ne trouve pas de travail, au titre du licenciement abusif. Notons que, depuis l’ordonnance de 2015, une société de portage salarial n’a plus l’obligation légale de trouver un emploi aux salariés portés.
Une autre jurisprudence passée concerne le temps partiel en portage salarial. Après l’analyse des conventions de travail, la Cour de Cassation pointe le devoir de bonne conformité du contrat à temps partiel au regard du Code du travail. L’instance juridictionnelle insiste sur le fait que les contrats de travail doivent clairement chiffrer la durée réelle du travail du salarié porté.
Enfin, un arrêt de la Cour d’appel de Paris, daté du 24 mai 2018, rappelle la compétence du conseil des prud’hommes en cas de litige concernant le portage salarial (par exemple un cas de harcèlement moral).
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